« Les peurs ne viennent pas de la Bible ».
Même s’il s’agit de « honte » : avec
la Bible l’homosexualité n’est pas condamnée, dit la théologienne Claudia
Janssen.
Interview dans « die Tageszeitung »,
05/02/2014. Traduction Philippe Gastrein.
Taz : Madame Janssen, est-ce-que l’amour peut
être un péché ?
Claudia Janssen : Non, l’amour ne peut pas être
un péché, mais la violence dans les relations sexuelles (qu’elles soient hétéro
ou homosexuelles) est un péché, ou bien autrement dit : la violence c’est
l’injustice et ce n’est pas de l’amour entre deux personnes qui ont la même
dignité.
Taz : Réponse sans langue de bois de la part d’une
théologienne. Pourtant les gens se réfèrent toujours à la Bible comme si elle
condamnait les personnes homosexuelles ou bisexuelles.
CJ : L’homosexualité dans la Bible est tout à
fait marginale. En général on ne le sait pas. Personne ne s’étonnerait autant
du débat actuel autant que Paul lui-même, que pourtant on cite souvent en
référence. Il n’a justement écrit qu’une phrase et demie sur le sujet.
Taz : Lesquelles ?
CJ : Dans le premier chapitre de la « lettre
aux Romains », il est écrit : « C’est pourquoi
Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont
échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les
hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir
les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses
infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à
leur égarement. » (Rm 1, 26-27, trad. AELF, traduction de Martin Luther
dans l’article originale).
Taz : Et que dîtes vous de cela ?
CJ : Dans le cas précis, il n’y a rien à sauver :
la sexualité entre deux femmes, pour Paul, c’est « contre nature »,
comme entre deux hommes. Cela tient à ce que dans l’Antiquité la sexualité
était ainsi définie qu’un homme libre pénètre un partenaire de rang inférieur :
une femme ou un esclave (qui pouvait être un esclave masculin, ou bien une
femme ou un enfant). La sexualité entre deux hommes libres était par contre
considérée comme contre nature.
Taz : Donc du sexe entre un homme libre et un
esclave, cela ne posait pas de problème à Paul ?
CJ : Pour les contemporains de l’Antiquité
romaine en général, cela ne posait pas de problème. D’ailleurs souvent les esclaves masculins
devaient se raser afin de paraître « non-viril ». Mais Paul, du fait
de ses traditions juives, a rejeté cela.
Taz : Et qu’en était-il donc entre deux femmes ?
CJ : Quand deux femmes couchaient ensemble,
selon les mentalités de l’époque de Paul, l’une des deux devait avoir dépassé
la limite des sexes en assumant un rôle « viril ». C’était donc aussi
considéré comme contre la nature.
Taz : Il semble que les femmes ne pouvaient pas
assumer de rôle actif dans leur sexualité. Même avec un homme ?
CJ : Le texte grec est très parlant : « les
femmes rejettent leur manière naturelle ». Une relation sexuelle basée sur
la réciprocité et l’égale dignité serait, dans cette manière de voir, tout
aussi impensable, puisqu’elle serait aussi « contre nature ».
Taz : La Bible est donc un instrument de
soumission. Cela doit être dur pour vous, qui êtes théologienne et féministe.
CJ : Ce n’est pas la Bible, mais l’ordre patriarcal
qui soumet les humains, femmes comme hommes. C’est pour cette raison que Paul
met toujours en garde contre le mariage. Car il voit que celles et ceux qui se
donnent au mariage, se livre aux structures patriarcales de la société, et qu’alors
elles et ils ne sont plus en mesure de consacrer beaucoup de temps et d’énergie
à la communauté. On doit toujours prendre en compte ces questions qui ont à
voir avec la sexualité dans le cadre de la famille de l’Antiquité. Elle se
compose d’esclaves, de femmes, d’enfants qui sont tous propriété du Pater
Familias. Celui-ci décide comme la vie commune s’organise. C’est la norme. C’est
pourquoi Paul écrit pendant des chapitres entiers à quoi une vie communautaire
non hiérarchisée peut ressembler (par exemple : 1Co12).
Taz : Mais
il parle aussi de la « honte »
qu’amène « un homme avec un homme », et aussi « d’égarement ».
CJ : Il y a certes dans la Bible plusieurs
affirmations sur de nombreux sujets. Le deutéronome exige de manière très
claire l’effacement de la dette tous les sept ans (Dt15). Dans le « Notre
Père », nous prions pour que « Pardonne nous nos dettes, comme nous
pardons à nos débiteurs » (traduction littérale de « pardonne nous
nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », qui reste
dans la version allemande, NDT). Ici, très clairement, cela concerne aussi des
dettes économiques. L’accueil des personnes en détresse et des réfugiés est une
autre exigence éthique tout à fait centrale dans la Bible. Mais sur ces sujets,
on trouve beaucoup de gens pour conclure rapidement qu’il faut relativiser dans
un cadre historique, ou bien qu’il ne faut pas considérer ces aspects comme
tellement important.
Taz : Est-ce-que la Bible peut donc être un
guide de morale ?
CJ : C’est exactement la question de fond.
Pourquoi je considère que tel passage correspond à une vérité intemporelle, et
tel autre passage doit être lu dans le contexte historique de sa rédaction ?
Pourquoi dirais-je que c’est une Parole immuable quand il s’agit d’homosexualité.
Et pourquoi j’interprète dans le contexte historique le commandement de lapider
l’adultère ? La Bible n’est pas un livre où l’on trouve des vérités
intemporelles qui auraient une validité sans restriction à toutes les époques.
Elle n’est pas non plus une autorité morale, avec laquelle je peux me couvrir
quand ça me convient.
Taz : Si la Bible n’est pas une autorité
morale, qu’est ce que c’est alors ?
CJ : L’objectif des Ecritures, c’est que tout humain
ait la Vie en abondance. Et c’est pour cette Vie que les humains ont été créés.
Dans mon passage préféré des lettres de Paul, il est dit à propos de la Bible :
« Or, tout ce qui a été écrit à l'avance dans les livres saints l’a été pour
nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures,
nous ayons l’espérance. » (Rm 15,4). Pour moi, la Bible est un livre
contre la résignation, un livre de l’espérance et de la vie.
Taz : Cependant, on a l’impression que dans le débat sur l’homosexualité
que la Bible suscite exactement le contraire que ce que vous dîtes. On a l’impression
que beaucoup de chrétien.ne.s lisent la Bible de manière littérale et qu’ils
ont peur de faire quelque chose de mal, quelque chose contre la volonté de
Dieu.
CJ : Les peurs ne viennent pas de la Bible. Elles viennent des gens
qui veulent créer des peurs et qui utilisent la Bible comme un instrument de
domination. Les peurs sont créées par ces gens pour établir une image rigide de
la « normalité ». Ils exercent une pression sociale contre toutes
celles et tous ceux qu’ils définissent comme « autres ». Cela ne se
produit pas seulement au niveau de la sexualité. Cette pression sociale se
dirige vers tous ceux qui veulent autre chose que ce qui est délimité au nom de
la Bible.
Taz : Qu’est ce que cela signifie dans un pays où vivent des athées et
des membres d’autres traditions religieuses ?
CJ : Je me sens rapidement proche des membres d’autres religions, qui
essaient de vivre dans le respect de la divinité, et qui placent l’amour du
prochain et la compassion au centre de leur pratique, quelques soient les
différences. Cependant, on trouve une proximité similaire entre les
fondamentalistes de toutes les religions. Ils peuvent aussi se mettre rapidement d’accord
pour, chacun de leur côté, rejeter les « autres ». Ils sont unis dans
leur mentalité patriarcale, leur misogynie et leur rejet de l’homosexualité.
Taz : Le déclencheur du débat actuel est le projet de programme
scolaire au Baden-Württemberg (Land du Sud-Ouest de l’Allemagne, frontalier
avec la France. Réputé conservateur, actuellement gouverné par une alliance
Vert-PS, NDT), dans laquelle il est prévu d’apprendre aux élèves qu’il y a
plusieurs manières d’envisager sa vie en dehors du modèle des relations
hétérosexuelles. Est-ce-que l’on devrait se référer à la Bible dans ce contexte ?
CJ : Sur le fond, non. Et si on le fait malgré tout, avec beaucoup de
nuance. Souvent cela se produit de manière superficielle, selon le principe du
persil. Quand le rôti est prêt, on saupoudre avec un peu de persil, c'est-à-dire
avec quelques citations bibliques. La Bible ne peut pas être invoquée comme
renfort divin de ma propre autorité, souvent déficiente. Le résultat est alors catastrophique, car on
rebute ceux qui, pris de doute, avaient un réel intérêt pour la question.
Taz : Quand fondez-vous alors votre action en fonction de la Bible ?
CJ : Je peux expliquer pourquoi je comprends mon action en rapport
avec la sagesse biblique, pourquoi les valeurs tirées de ma tradition
chrétienne sont importantes, mais je ne peux pas invoquer la Bible comme un
livre de loi faisant autorité. C’est pourquoi il est très important que nous réapprenions
à connaître notre tradition biblique. D’une
part pour mieux comprendre notre histoire culturelle qui en est empreinte. Mais
aussi parce que ceux qui se réfèrent à la Bible, aux « affirmations
claires de la Bible », ne connaissent plus du tout la Bible.
Taz : Au début de notre entretien, vous avez dit que l’amour ne
pouvait pas être un péché. Qu’est-ce-qu’un péché en fait ?
CJ : En grec comme en hébreux,
les mots que l’ont traduit par «péché » désignent toujours des injustices
concrètes, entre humains et aussi vis-à-vis de Dieu. Paul accuse à maintes
reprises les structures globales de l’injustice dans l’Empire Romain, dans
lesquelles les gens sont impliqués. Il appelle à changer les actes d’injustice,
et à se renforcer les uns les autres pour s’opposer à cette injustice. Le péché
n’est pas compris de manière ontologique ou purement morale. C’est la tradition
tardive qui a développé ce point de vue.
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