vendredi 7 février 2014

L'amour ne peut pas être un péché, mais la violence dans les relations sexuelles est un péché.



« Les peurs ne viennent pas de la Bible ».

Même s’il s’agit de « honte » : avec la Bible l’homosexualité n’est pas condamnée, dit la théologienne Claudia Janssen.

Interview dans « die Tageszeitung », 05/02/2014. Traduction Philippe Gastrein.

Taz : Madame Janssen, est-ce-que l’amour peut être un péché ?
Claudia Janssen : Non, l’amour ne peut pas être un péché, mais la violence dans les relations sexuelles (qu’elles soient hétéro ou homosexuelles) est un péché, ou bien autrement dit : la violence c’est l’injustice et ce n’est pas de l’amour entre deux personnes qui ont la même dignité.

Taz : Réponse sans langue de bois de la part d’une théologienne. Pourtant les gens se réfèrent toujours à la Bible comme si elle condamnait les personnes homosexuelles ou bisexuelles.
CJ : L’homosexualité dans la Bible est tout à fait marginale. En général on ne le sait pas. Personne ne s’étonnerait autant du débat actuel autant que Paul lui-même, que pourtant on cite souvent en référence. Il n’a justement écrit qu’une phrase et demie sur le sujet.

Taz : Lesquelles ?
CJ : Dans le premier chapitre de la « lettre aux Romains », il est écrit : « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » (Rm 1, 26-27, trad. AELF, traduction de Martin Luther dans l’article originale).

Taz : Et que dîtes vous de cela ?
CJ : Dans le cas précis, il n’y a rien à sauver : la sexualité entre deux femmes, pour Paul, c’est « contre nature », comme entre deux hommes. Cela tient à ce que dans l’Antiquité la sexualité était ainsi définie qu’un homme libre pénètre un partenaire de rang inférieur : une femme ou un esclave (qui pouvait être un esclave masculin, ou bien une femme ou un enfant). La sexualité entre deux hommes libres était par contre considérée comme contre nature.

Taz : Donc du sexe entre un homme libre et un esclave, cela ne posait pas de problème à Paul ?
CJ : Pour les contemporains de l’Antiquité romaine en général, cela ne posait pas de problème.  D’ailleurs souvent les esclaves masculins devaient se raser afin de paraître « non-viril ». Mais Paul, du fait de ses traditions juives,  a rejeté cela.

Taz : Et qu’en était-il donc entre deux femmes ?
CJ : Quand deux femmes couchaient ensemble, selon les mentalités de l’époque de Paul, l’une des deux devait avoir dépassé la limite des sexes en assumant un rôle « viril ». C’était donc aussi considéré comme contre la nature.

Taz : Il semble que les femmes ne pouvaient pas assumer de rôle actif dans leur sexualité. Même avec un homme ?
CJ : Le texte grec est très parlant : « les femmes rejettent leur manière naturelle ». Une relation sexuelle basée sur la réciprocité et l’égale dignité serait, dans cette manière de voir, tout aussi impensable, puisqu’elle serait aussi « contre nature ».

Taz : La Bible est donc un instrument de soumission. Cela doit être dur pour vous, qui êtes théologienne et féministe.
CJ : Ce n’est pas la Bible, mais l’ordre patriarcal qui soumet les humains, femmes comme hommes. C’est pour cette raison que Paul met toujours en garde contre le mariage. Car il voit que celles et ceux qui se donnent au mariage, se livre aux structures patriarcales de la société, et qu’alors elles et ils ne sont plus en mesure de consacrer beaucoup de temps et d’énergie à la communauté. On doit toujours prendre en compte ces questions qui ont à voir avec la sexualité dans le cadre de la famille de l’Antiquité. Elle se compose d’esclaves, de femmes, d’enfants qui sont tous propriété du Pater Familias. Celui-ci décide comme la vie commune s’organise. C’est la norme. C’est pourquoi Paul écrit pendant des chapitres entiers à quoi une vie communautaire non hiérarchisée peut ressembler (par exemple : 1Co12).

Taz :  Mais il parle aussi de la « honte »  qu’amène « un homme avec un homme », et aussi « d’égarement ».
CJ : Il y a certes dans la Bible plusieurs affirmations sur de nombreux sujets. Le deutéronome exige de manière très claire l’effacement de la dette tous les sept ans (Dt15). Dans le « Notre Père », nous prions pour que « Pardonne nous nos dettes, comme nous pardons à nos débiteurs » (traduction littérale de « pardonne nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », qui reste dans la version allemande, NDT). Ici, très clairement, cela concerne aussi des dettes économiques. L’accueil des personnes en détresse et des réfugiés est une autre exigence éthique tout à fait centrale dans la Bible. Mais sur ces sujets, on trouve beaucoup de gens pour conclure rapidement qu’il faut relativiser dans un cadre historique, ou bien qu’il ne faut pas considérer ces aspects comme tellement important.

Taz : Est-ce-que la Bible peut donc être un guide de morale ?
CJ : C’est exactement la question de fond. Pourquoi je considère que tel passage correspond à une vérité intemporelle, et tel autre passage doit être lu dans le contexte historique de sa rédaction ? Pourquoi dirais-je que c’est une Parole immuable quand il s’agit d’homosexualité. Et pourquoi j’interprète dans le contexte historique le commandement de lapider l’adultère ? La Bible n’est pas un livre où l’on trouve des vérités intemporelles qui auraient une validité sans restriction à toutes les époques. Elle n’est pas non plus une autorité morale, avec laquelle je peux me couvrir quand ça me convient.

Taz : Si la Bible n’est pas une autorité morale, qu’est ce que c’est alors ?
CJ : L’objectif des Ecritures, c’est que tout humain ait la Vie en abondance. Et c’est pour cette Vie que les humains ont été créés. Dans mon passage préféré des lettres de Paul, il est dit à propos de la Bible : « Or, tout ce qui a été écrit à l'avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures, nous ayons l’espérance. » (Rm 15,4). Pour moi, la Bible est un livre contre la résignation, un livre de l’espérance et de la vie.

Taz : Cependant, on a l’impression que dans le débat sur l’homosexualité que la Bible suscite exactement le contraire que ce que vous dîtes. On a l’impression que beaucoup de chrétien.ne.s lisent la Bible de manière littérale et qu’ils ont peur de faire quelque chose de mal, quelque chose contre la volonté de Dieu.
CJ : Les peurs ne viennent pas de la Bible. Elles viennent des gens qui veulent créer des peurs et qui utilisent la Bible comme un instrument de domination. Les peurs sont créées par ces gens pour établir une image rigide de la « normalité ». Ils exercent une pression sociale contre toutes celles et tous ceux qu’ils définissent comme « autres ». Cela ne se produit pas seulement au niveau de la sexualité. Cette pression sociale se dirige vers tous ceux qui veulent autre chose que ce qui est délimité au nom de la Bible.

Taz : Qu’est ce que cela signifie dans un pays où vivent des athées et des membres d’autres traditions religieuses ?
CJ : Je me sens rapidement proche des membres d’autres religions, qui essaient de vivre dans le respect de la divinité, et qui placent l’amour du prochain et la compassion au centre de leur pratique, quelques soient les différences. Cependant, on trouve une proximité similaire entre les fondamentalistes de toutes les religions.  Ils peuvent aussi se mettre rapidement d’accord pour, chacun de leur côté, rejeter les « autres ». Ils sont unis dans leur mentalité patriarcale, leur misogynie et leur rejet de l’homosexualité.

Taz : Le déclencheur du débat actuel est le projet de programme scolaire au Baden-Württemberg (Land du Sud-Ouest de l’Allemagne, frontalier avec la France. Réputé conservateur, actuellement gouverné par une alliance Vert-PS, NDT), dans laquelle il est prévu d’apprendre aux élèves qu’il y a plusieurs manières d’envisager sa vie en dehors du modèle des relations hétérosexuelles. Est-ce-que l’on devrait se référer à la Bible dans ce contexte ?
CJ : Sur le fond, non. Et si on le fait malgré tout, avec beaucoup de nuance. Souvent cela se produit de manière superficielle, selon le principe du persil. Quand le rôti est prêt, on saupoudre avec un peu de persil, c'est-à-dire avec quelques citations bibliques. La Bible ne peut pas être invoquée comme renfort divin de ma propre autorité, souvent déficiente.  Le résultat est alors catastrophique, car on rebute ceux qui, pris de doute, avaient un réel intérêt pour la question.

Taz : Quand fondez-vous alors votre action en fonction de la Bible ?
CJ : Je peux expliquer pourquoi je comprends mon action en rapport avec la sagesse biblique, pourquoi les valeurs tirées de ma tradition chrétienne sont importantes, mais je ne peux pas invoquer la Bible comme un livre de loi faisant autorité. C’est pourquoi il est très important que nous réapprenions à connaître notre tradition biblique.  D’une part pour mieux comprendre notre histoire culturelle qui en est empreinte. Mais aussi parce que ceux qui se réfèrent à la Bible, aux « affirmations claires de la Bible », ne connaissent plus du tout la Bible.

Taz : Au début de notre entretien, vous avez dit que l’amour ne pouvait pas être un péché. Qu’est-ce-qu’un péché en fait ?
 CJ : En grec comme en hébreux, les mots que l’ont traduit par «péché » désignent toujours des injustices concrètes, entre humains et aussi vis-à-vis de Dieu. Paul accuse à maintes reprises les structures globales de l’injustice dans l’Empire Romain, dans lesquelles les gens sont impliqués. Il appelle à changer les actes d’injustice, et à se renforcer les uns les autres pour s’opposer à cette injustice. Le péché n’est pas compris de manière ontologique ou purement morale. C’est la tradition tardive qui a développé ce point de vue.
     

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