dimanche 2 février 2014

Moi, Philippe, baptisé, je ne peux pas « passer mon chemin », non plus !

Réaction à la tribune de Philippe Barbarin, prêtre et archevêque de Lyon, publiée dans La Croix du 23 janvier 2014.

Vous, archevêque de Lyon, pasteur des chrétiens qui sont à Lyon, vous annoncez aller manifester avec «la manif pour tous ».  Vous dîtes que votre présence sera la réponse évangélique à l’appel du prochain, ici en particulier les enfants que l’on menace d’être « sans parent, sans naissance ».

Beaucoup de ce que vous dîtes n’est pas particulier à cet engagement de la « manif pour tous ». Il s’agit d’une spiritualité de l’engagement politique en général: « Que votre oui soit oui ; que votre non soit non ! ». Cette douce fermeté, je l’ai aussi rencontré chez mes ami.e.s d’engagement : tel syndicaliste qui passe des heures dans le froid pour soutenir les salariés d’une entreprise voisine dont les dirigeants ont décidé brutalement la fermeture, tel militant des droits des sans-papiers qui cache une famille entière menacée d’expulsion, tel activiste espagnol qui, dérisoire rempart,  se tient devant le seuil d’une maison pour empêcher les forces de police d’expulser une famille surendettée, etc. Oui, vous avez raison, s’engager pour une cause nous fait rencontrer des femmes et des hommes de bonne volonté qui vivent des valeurs évangéliques aussi bien sinon mieux que nous-mêmes.

Je n’irai pas manifester le 2 février avec « la manif pour tous ». Je ne pense pas ainsi avoir une mauvaise « attitude vis-à-vis des plus petits ». Oui, la Parole de Dieu nous appelle à veiller « pour tous les ‘’sans’’ qui sont nos prochains d’aujourd’hui », les sans voix, les sans âge, les sans avenir, les sans-pays, les sans domicile fixe, les sans pouvoir, les sans reconnaissance… Cependant je ne vois pas les dangers du prétendu changement de civilisation qu’apporteront les réformes autour de la famille que propose l’actuel gouvernement. Comment ! Nous chrétiens, nous avons peur de dissoudre les arbres généalogiques ? Mais notre Seigneur Jésus-Christ n’est-il pas né de la rupture radicale de toute généalogie ? Qu’est-ce sinon que la généalogie de Jésus-Christ en Matthieu, où une longue lignée d’homme aboutit à la subversion radicale de toute filiation biologique : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus » ?  La naissance de Jésus subvertit radicalement l’enfermement qu’une généalogie peut représenter pour un être humain. Même la révélation du premier testament ne proposait pas à l’humanité une idée matérialiste et biologique de la filiation. L’engendrement en Genèse 5, c’est nommer l’enfant. D’où vient subitement cette obsession pour l’enchainement biologique des générations ? Les orphelins que nos Eglises ont accueilli et accueillent encore, que nombre de familles chrétiennes ont adopté, sont-il « sans parent » ou « sans naissance » parce qu’ils n’auraient plus de lien avec leurs parents biologiques ? Quelle insulte pour les parents adoptifs et pour les éducateurs d’orphelinat ! Non, tous ces enfants ont été engendrés comme tout humain depuis la Création. Ils ont été nommés par un autre humain. Par quels étranges mécanismes les enfants qui par le futur seront accueillis dans des familles sans lien biologique ne seraient pas pareillement engendrés ?

Pour autant, comme vous, je suis contre la GPA. Mais pour des raisons profondément différentes. Pour moi, la GPA est inacceptable car c’est l’instrumentalisation du corps d’une femme pour obtenir un enfant. Vous le dîtes vous-même, pour l’instant il n’est nul question d’autoriser la GPA. Soyons vigilant, donc ? Je le serai avec vous. Pour autant, nous avons, sans qu’apparemment vous vous en êtes rendu compte, remporté une grande victoire pour empêcher que jamais la GPA ne soit autorisée en France. En effet, le 4 décembre 2013, l’assemblée nationale adoptait la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Cette loi s’appuie sur le principe de la non-patrimonialité du corps humain. Aujourd’hui, en France, au nom de ce principe, on ne peut pas vendre son sang ou un organe, cela ne peut être qu’un don. Car sinon, nous savons bien que les plus faibles économiquement subiront une pression pour céder leur corps en pièces détachées. Bientôt j’espère, si le Sénat vote aussi la loi, il ne sera plus possible d’obtenir un rapport sexuel contre de l’argent. La sexualité ne pourra se vivre que dans la gratuité. Car nous voyons bien avec la prostitution aujourd’hui que sinon seuls les plus faibles économiquement et socialement consentent à louer leur corps. Dans une société qui affirme avec force que le corps de chacun n’est pas un bien que l’on pourrait céder à autrui comme n’importe quelle chose ou service qui nous est extérieur, comment pourrait-il être admis d’utiliser neuf mois durant le corps d’une femme pour satisfaire à un désir pulsionnel d’enfant ? Ce serait tout à fait incohérent, et je vous assure que celles et ceux qui ont obtenu de haute lutte le vote de la loi contre le système prostitutionnel ne « passeront pas leur chemin », leur « non » restera un « non » ferme. Quand cette loi s’appliquera, nous aurons posé ensemble une norme qui dit qu’une relation sexuelle est et doit rester gratuite. Il s’agira là d’un vrai changement de civilisation. Un changement de civilisation qui pour moi va dans le sens des valeurs évangéliques.

Vous l’aurez compris, je suis personnellement engagé dans la lutte contre le système prostitutionnel. Plus précisément avec le Mouvement du Nid, c'est-à-dire dans la rencontre quotidienne avec les personnes prostituées sur les lieux de prostitution. Si nous voulons la disparition concrète de la prostitution, ce n’est pas contre les personnes prostituées. Il est hors de question de les arracher contre leur volonté à leur activité. C’est pourquoi nous sommes satisfaits que la loi cesse de criminaliser les personnes prostituées, et au contraire pénalise les clients. Comment faire reculer radicalement la prostitution dans notre société ? La prostitution trouve ses racines dans l’idée que l’on peut tout acheter avec de l’argent, dans l’idée qu’une relation sexuelle pourrait se vivre sans s’engager vis-à-vis de l’autre, et dans l’idée que les femmes sont forcément à la disposition des hommes, qu’elles leur seraient inférieures. Quand le prophète Osée pris Gomer, une prostituée, pour épouse, il l’aima en combattant ces trois racines, qui sont aussi les racines de l’idolâtrie. Nous savons bien que l’argent devient facilement une idole. L’Eglise avertit avec constance du danger de se soumettre à toute forme de sexualité déshumanisante qui utiliserait l’autre comme un moyen. Pareillement, quand nous acceptons que le masculin domine le féminin, nous défigurons notre humanité que Dieu créa « à sa ressemblance, mâle et femelle ». Dans la loi contre le système prostitutionnel, à la demande des associations abolitionnistes, il est justement prévu de renforcer l’éducation à l’égalité entre femmes et hommes. Or « la manif pour tous » se bat contre ce type de programme d’éducation, accusant ses promoteurs d’être les propagandistes cachés d’une prétendue « idéologie du genre ». Depuis l’intérieur des mouvements féministes, j’atteste que les affirmations caricaturales qui sont présentées comme propre à « l’idéologie du genre » sont marginales parmi les féministes. Nous ne cherchons pas à transformer les garçons en filles. Nous souhaitons seulement que les garçons grandissent libérés des mythes qui les persuadent qu’ils doivent se comporter en macho. Nous souhaitons que les filles ne connaissent aucune humiliation du seul fait qu’elles sont femmes. C’est une humanité pacifiée que les féministes cherchent à faire advenir, en posant des oui qui sont des oui, et des non qui sont des non. Pour cela ils ne passent pas leur chemin, quand ils croisent une personne prostituée victime d’un proxénète, quand ils croisent une femme violée et battue par son mari, quand ils croisent une femme humiliée à son travail parce que discriminée ou même harcelée…

Par contre je pense qu’il serait illusoire et irresponsable de manifester pour « le droit des enfants à avoir des parents », sans manifester aussi pour le droit des enfants de sans-papiers à vivre en sûreté avec leurs deux parents, sans manifester pour le droit des enfants à avoir des parents reconnus dans la société par un travail payé dignement, sans manifester pour le droit des enfants à être éduqués indépendamment de la fortune de leurs parents, etc. Ce serait illusoire car je ne vois nulle part en France qu’on remette en cause le fait que chaque enfant sera engendré. Ce serait irresponsable car on ne cesse de faire subir aux enfants les conséquences des inégalités qui règnent entre leurs parents.

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