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mardi 24 juin 2014

Les mariages homosexuels sont-il forcément des mariages prostitutionnels? - Ni plus ni moins.


Cet article fait partie de la série: "Contre les mariages prostitutionnels".

Par rapport aux mariages qui deviennent un lieu d’exploitation d’un conjoint par l’autre, ou une institution qui se fait complice d’un système d’exploitation, est-ce-que le fait que les deux conjoints aient le même sexe induit forcément un rapport d’exploitation ? Au contraire, nous constatons que la demande d’obtenir une institution équivalente au mariage pour les homosexuels provient justement d’un besoin vécu par plusieurs couples homosexuels de protéger juridiquement la solidarité qu’ils souhaitaient vivre ensemble. L’épidémie de SIDA a notamment provoqué nombre de situations dramatiques où des couples avaient tout mis en commun par amour, mais où le ou la survivant.e se retrouvait dépossédé.e par les ayant droits selon la loi. 
 
Est-ce-qu’un couple homosexuel serait incapable de se respecter réciproquement ? L’argument souvent défendu par ceux qui discréditent la formation de couple homosexuel consiste à dire qu’il s’agirait d’une forme de narcissisme à deux. Les personnes homosexuelles auraient évité de rencontrer l’autre sexe par incapacité à s’ouvrir à la différence. On pourrait déduire cette affirmation du commentaire de la création de l’humanité dans la différence des sexes. Or ce que dit la différence des genres, ce n’est pas une dichotomie absolue entre le masculin et le féminin. Nous savons bien que personne n’est absolument masculin ou féminin. S’il est besoin de démontrer que nul en humanité n’est assigné à un sexe, régulièrement naissent des individus hermaphrodites. Les différents caractères sexuels sont déterminés par des processus biologiques complexes résultant de l’interaction entre l’environnement et le patrimoine génétique de chaque individu, comme tout processus biologique. L’identité de genre n’est donc pas la conséquence directe du patrimoine génétique de l’individu, quand bien même cet individu dispose d’un patrimoine génétique qui détermine sans ambiguïté son identité sexuelle. 
En fait, la différence de genre représente l’altérité la plus évidente au sein de l’humanité, et en même temps l’altérité qui ne peut se nier par l’exclusion. On ne peut pas affirmer qu’un seul des sexes représenterait la « vraie » humanité tellement il est incontournable qu’il faut des femmes et des hommes pour reproduire l’humanité. L’humanité créée femme et homme, c’est aussi l’humanité incluant toute altérité entre humains. L’humanité, femme et homme, à la ressemblance de Dieu, c’est aussi la nécessité d’embrasser toute la diversité de l’humanité pour envisager Dieu. Il n’est donc pas nécessaire d’être face à un individu de l’autre sexe pour être confronté à l’altérité. On peut d’ailleurs tout autant nier l’altérité tout en vivant dans un couple hétérosexuel. N’est-ce pas ce qui se passe en partie quand les couples se choisissent à l’intérieur d’une même classe sociale, dans un groupe de même opinion ou de même confession, ou encore à l’intérieur d’une même apparence raciale ? Quand la violence conjugale éclate, c’est en fin de compte le symptôme que le couple, quoiqu’hétérosexuel, ne parvient pas à se rencontrer dans l’altérité. La violence est alors un moyen pour obliger l’autre à se conformer à ce que je veux qu’il soit, sans trop déranger mes pré-représentations.


La question de l’accueil des enfants cristallise aussi l’opposition au mariage homosexuel. Evacuons tout de suite la question des mères porteuses (ou GPA) : ces situations relèvent clairement des mêmes logiques que la prostitution. Dans le cas de l’adoption ou de la procréation médicalement assistée par don de sperme pour des couples de femmes, en quoi le processus d’accueil de l’enfant dans ces couples diffère phénoménologiquement de tout accueil d’enfant? A moins de croire que le lien génétique entre parents et enfants est indispensable. Or cette obsession de la matérialité biologique de la filiation est une forme d’idolâtrie qui nie la profonde originalité de tout nouveau né, qui lui refuse son mystère. On entend beaucoup dire que les enfants auraient besoin d’un modèle masculin et féminin pour se construire. Il est étrange que les institutions qui ont organisé des pensionnats où les enfants étaient instruits non seulement dans un environnement non mixte mais aussi par des corps enseignants du même sexe, découvrent aujourd’hui les mérites éducatifs de la mixité. Mais tout de même, la famille « traditionnelle » que nous rapportent les romans du XIXe siècle donnait-elle vraiment une place égale aux pères et aux mères ? Ne voyons-nous pas des modèles familiaux où le père était absent ? Cette situation ne perdure-t-elle pas dans les familles où le père se sacrifie (ou fuit) au travail ? L’Eglise a-t-elle alors milité pour que les pères prennent vraiment leurs places ? A-t-elle milité pour réduire les temps de travail afin que les parents des deux sexes puissent passer plus de temps avec leurs enfants ? (En fait, sur ce dernier point, c’est vrai, le catholicisme social a été de ce combat). Poursuivons-nous ce combat, et pas seulement pour défendre le repos dominical ? Tout ce qui a pu être écrit à propos d’enfants élevés dans des couples homosexuels semble indiquer qu’ils ne sont pas mieux ni moins bien éduqués que les autres, ils n’en deviennent pas moins des humains, avec leur histoire particulière comme tout un chacun. Et avant même les couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait un « référent masculin ou féminin », le bon sens n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ? Tout de même, je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique chez certains courants de pensée chrétiens surprenant. N’avons-nous pas dans nos communautés des couples, certes hétérosexuels, qui ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement différente ? Certes nous voyons bien que ces adoptions ne sont pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes défis que tout parent, en particulier le défi d’élever ses enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une réelle et sincère générosité : faire profiter d’un environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du « droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ? Tout le monde aujourd’hui dans l’Eglise ne se défend-il pas d’être homophobe ?

Oui, un couple homosexuel peut être un couple prostitutionnel. Il existe de la prostitution homosexuelle, en particulier dans les milieux homosexuels masculins. Les personnes homosexuelles peuvent aussi se laisser aspirer par la cupidité, devenir carriériste, etc. Il existe aussi de la violence parmi les personnes homosexuelles. On trouvera des hommes homosexuels machistes, et des femmes homosexuelles vouant une véritable haine du sexe masculin. On trouvera même des couples homosexuels du type « cage au folle », où un des partenaires croyant se féminiser s’humilie en endossant le rôle d’une femme soumise, qui n’est pas le vrai visage de la féminité. Enfin on trouvera des couples homosexuels portant l’exigence d’un droit à l’enfant. Quitte à instrumentaliser le corps d’une femme pour lui faire porter un enfant. En effet la question des mères porteuses partage de nombreux points communs avec la prostitution. Son organisation pratique suppose un échange d’argent, ne serait-ce que pour assurer l’existence de la mère porteuse pendant la grossesse. Elle répond à un désir qui est perverti en un besoin, ou même en droit. Elle introduit dans la sphère marchande un échange ou une pratique qui devrait absolument rester gratuite si l’humanité veut rester humaine. Donc effectivement, il faut s’opposer de toutes nos forces au développement de la GPA. 

Donc oui, tout à fait, les mariages homosexuels peuvent être des mariages prostitutionnels. Mais ni plus ni moins que les mariages hétérosexuels. Les difficultés à vivre dans la fidélité et la chasteté sont aussi difficiles mais autant humanisant dans les couples homosexuels que dans les couples hétérosexuels. Justement, si ces hommes et ces femmes s’aiment, s’ils souhaitent vivre en solidarité comme des époux mariés, s’ils sont prêt à être responsables devant la communauté humaine jusqu’à accueillir des enfants, pourquoi les empêchons-nous de tenter un chemin que nous savons être un chemin de bonheur, un chemin de libération et un chemin d’humanisation, un chemin donc qui mène aussi à l’amour de Dieu ? Nous savons que ce chemin est semé d’embûches, qu’il longe les ravins de la prostitution où l’on peut tomber à tout instant. D’autant plus n’ajoutons pas des difficultés aux difficultés qu’ils rencontreront de toute manière ! Aidons-les plutôt, soutenons-les. Et laissons-nous aussi nous convertir par eux. Nous croyons trop facilement que nos enfants sont comme une extension de nous même, qu’ils ne couperont jamais le cordon ombilical ? Laissons-nous convertir à l’accueil de la différence dans nos propres enfants en voyant ces couples adopter. Nous voulons à tout prix que notre couple soit « normal », c'est-à-dire conforme à une norme, à un modèle. Laissons nous convertir à écouter nos désirs profonds et les appels des circonstances ! Qu’y avait-il de « normal » dans la Sainte-Famille ? une mère vierge, un père putatif, un fils fugueur… 
 
Non, il n’y a rien de spécifiquement prostitutionnel dans les mariages homosexuels. Ils sont confrontés aux mêmes tentations de s’abandonner aux logiques de la prostitution que les couples hétérosexuels. Mais, par l’originalité inhérente des familles qu’ils fondent, ils peuvent nous aider à trouver de nouvelles ressources pour vivre les épousailles. Jésus d’ailleurs nous a peut être déjà donné un de ces couples en exemple de foi. Quelle était au juste la relation du centurion avec son esclave « qui lui était cher » (Lc 7,2), lequel centurion demanda à Jésus de guérir son esclave, « son enfant » (Lc 7,7) ? Comme souvent dans ce genre de situation, l’évangéliste est discret, on pourrait dire qu’il a du tact. De même, parmi les femmes en qui la tradition croit voir des prostituées, aucune n’est ainsi clairement désignée par les évangélistes. Cependant dans le contexte de l’époque, connaissant les mœurs des romains, il est plausible que ce centurion était l’amant de son cher esclave. Et si ce n’était le cas, les contemporains de la scène pouvaient néanmoins suspecter que ça l’était. On pourrait arguer que dans ce cas les « anciens des juifs » qui transmirent les premiers la demande de guérison ne l’aurait pas fait. Or ils vendent la mèche : ce n’est pas seulement parce qu’il aime la nation juive, mais aussi parce qu’il « nous a bâtit la synagogue » qu’il est digne (Lc 7,5). Et en effet, alors que Jésus s’approche, le centurion envoie un deuxième groupe de messagers, des amis cette fois, pour lui dire que ce n’est pas la peine qu’il entre chez lui. Il doit savoir qu’il serait cause de scandale pour cet homme qu’il admire, et pas seulement parce qu’il représente l’ennemi. Cependant Jésus déclare à propos de cet homme : « pas même en Israël je n’ai trouvé une telle foi » (Lc 7,10). Et depuis, à chaque célébration eucharistique nous faisons notre à peu près sa profession de foi : « je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une parole et [je] serai guéri ».

Enfin je relève un dernier argument contre le mariage homosexuel. Cela provoquerait une « révolution anthropologique » catastrophique pour nos sociétés. Cela provoquera un changement anthropologique profond, certes, et de toute manière il est en cours, et la loi court derrière plutôt qu’elle ne le provoque. Comme tout changement, il provoquera des secousses, mais je ne crois pas qu’il sera catastrophique. Là aussi il est surprenant que tout à coup l’Eglise se mette à s’inquiéter des chocs anthropologiques qu’on peut faire subir à une société. N’a-t-elle pas été partie prenante du choc anthropologique le plus violent car le plus massif et le plus brutal en temps qu’a peut être connu l’humanité, c'est-à-dire les colonisations européennes ? Certes les écroulements démographiques des Amériques après Colomb doivent beaucoup aux épidémies et aux massacres directs, ce que l’on ne peut pas tout à fait reprocher à l’Eglise, ne serait-ce que grâce au combat de Las Casas. Mais d’autres maux sont comptables de ces écroulements démographiques : alcoolisme, épidémie de suicide, apathie. On observe ces phénomènes encore aujourd’hui parmi des peuples qui ont fait récemment la rencontre de la civilisation globale. Les églises ne sont-elles pas aussi entrain d’œuvrer pour une révolution anthropologique profonde dans plusieurs pays d’Afrique ? Pour faire disparaître la polygamie, l’excision et nombre de rites initiatiques de la jeunesse ? La christianisation de l’Europe n’a-t-elle pas aussi été accompagnée de révolutions anthropologiques ? Fin des sacrifices humains (quoiqu’on a continué à mener des guerres sacrificielles), promotion de l’existence juridique de chaque personne (abolition du Pater familias), promotion même de l’autonomie des femmes (obligation du consentement mutuel pour le mariage, possibilité de choisir le célibat consacré) ? Ces révolutions n’ont pas été sans violence, comme souvent contre-révolutionnaires. La majorité des saints martyrs des premiers siècles sont des femmes assassinées en raison de leur refus de se soumettre à l’autorité paternelle. Aujourd’hui, la persistance de la prostitution dans nos sociétés manifestent que nous avons devant nous des révolutions anthropologiques à opérer, en particulier qu’il devienne inconcevable de pouvoir obtenir une relation sexuelle contre de l’argent. Elargir le champs des possibles pour vivre les épousailles, pour les incarner, sans rendre accessoire la question des perversions que nous pouvons faire subir à l'Amour, ne peut pas être une révolution anthropologique contraire à l'Esprit.

publié une première fois le 17/04/2013 sur Caloupilé

mercredi 19 février 2014

Contre les mariages prostitutionnels

Pour l'Eglise, le mariage est un sacrement. C'est-à-dire le signe concret de l'amour de Dieu pour son humanité. Déjà l'Ancien Testament avec le Cantique des cantiques porte le témoignage que les amours humaines peuvent être à l'image et à la ressemblance de l'amour que Dieu propose à l'humanité. Les chrétiens sont donc tout à fait légitimes pour promouvoir dans la société des conditions telles que chacun puisse vivre des amours à l'image de l'amour de Dieu. Ces temps-ci, nombre de chrétiens se sont mobilisés contre la loi du « mariage pour tous », considérant que l'ouverture des droits du mariage civil aux couples homosexuels mettraient en danger ces conditions. Pour eux, le mariage homosexuel dévoierait le sens profond du mariage. Pour ma part, mon expérience militante de rencontre et d'accompagnement des personnes prostituées au sein du mouvement du Nid, m'a poussé à méditer à la lumière du livre d'Osée en quoi le mariage pouvait constituer une institution opposée à la prostitution. Or Osée nous montre comment les logiques de la prostitution peuvent s'infiltrer dans un couple et pervertir le mariage. Prévenir des perversions qui menacent l'amour fait donc partie des missions de l’Église. La prostitution constitue à mon avis l'archétype du détournement de l'amour. Là où l'amour est gratuité, la prostitution prétend possible de l'acheter et de la vendre. Là où l'amour est liberté, la prostitution n'est que jeu de domination et d'humiliation. Là où l'amour rend possible toutes naissances, biologiques comme spirituelles, la prostitution est fermeture à l'avenir. De tous ces risques, les couples homosexuels ne sont pas exempts. Cependant je ne vois rien qui leur interdit forcément d'accueillir la gratuité, la liberté et la fécondité de l'amour. Le risque de la mobilisation des chrétiens contre le mariage homosexuel est donc d'oublier pourquoi le mariage est une institution humaine si importante pour l’Église. Il ne s'agit pas d'une institution formelle nécessaire au bon ordre de la société, il s'agit d'une forme d'incarnation de l'amour de Dieu parmi les humains qui libère des logiques de la prostitution : la violence, la cupidité, l'absence de foi. Le risque alors est de se tromper dans l'avertissement que nous adressons à nos contemporains. Ce sont les logiques de la prostitution dont il faut préserver le mariage, et non les écarts vis-à-vis d'un formalisme arbitraire.

Or de nombreux aspects du « couple chrétien », tel qu’on pourrait le concevoir à écouter ses défenseurs ou à observer ceux qui prétendent l’incarner, ne présentent que de faibles résistances aux logiques prostitutionnelle. Pour simples preuves pratiques, il suffit de constater la persistance de la prostitution dans les pays et les régions sociologiquement chrétiennes. La résistance spirituelle contre la prostitution de ces familles chrétiennes est si faible qu’elle n’empêche par leurs hommes d’être clients-prostitueurs. Parfois même j’ai entendu des épouses « de bonne bourgeoisie chrétienne » préférer que leur mari aille voir les « belles de nuit », plutôt qu’ils les « trompent avec une maîtresse». Leur résistance spirituelle est si faible qu’elle n’empêche pas leurs filles et leurs fils de se laisser entraîner à l’autodestruction dans la prostitution. Je me rappelle du témoignage d’une jeune femme qui méprisait tant son corps que se laisser prostituer constituait pour elle une manière de vengeance sur le regard qu’on a porté sur elle depuis toute petite. De même, de nombreux garçons, victimes d’homophobies dans leur adolescence, croient découvrir leur identité sexuelle en se livrant corps et âme au milieu de la prostitution homosexuelle. Elle est si faible cette résistance spirituelle que des pays à majorité chrétienne, gouvernés par des partis prétendument chrétiens, laissent l’état organiser la prostitution, comme l'Allemagne et l'Espagne. Et quand les pays chrétiens ne sont pas réglementaristes, ils sont prohibitionnistes comme l’Irlande et la majorité des Etats-Unis. C’est dire s’ils n’ont rien compris où se trouvent le problème dans la prostitution, croyant que le scandale serait le « vice » des personnes prostituées, alors que le scandale est au contraire le fait qu’elles soient exploitées et humiliées.

Il ne suffit pas d’être en couple, ni d’être hétérosexuel, ni d’avoir des enfants « biologiquement naturels », ni même de n’avoir de relations sexuelles qu’avec son partenaire (ce qu’on croit suffisant pour définir la fidélité), pour échapper aux logiques prostitutionnelles. Le livre d'Osée témoigne d'une expérience spirituelle incarnée qui a peut être été fondatrice dans l'histoire de la Foi judéo-chrétienne. Osée a épousé Gomer, une femme prostituée. Ce faisant, il se faisait prophète de l'amour de Dieu pour l'Humanité. La relation entre Osée et Gomer est une histoire tragique et douloureuse, où l'on voit les logiques de la prostitution continuer à être à l’œuvre pour pervertir l'amour. En suivant Osée et Gomer, nous pouvons être averti de ces dangers. J'en identifie trois, qui sont trois formes d'idolâtrie dans le mariage :


Le sacrement du mariage catholique n'est pas au service de la stabilité d'une certaine société. Il est au contraire subversif. Dès son institution canonique au XIIeme siècle, il dérange par la centralité qu'il donne au libre consentement des épouxes. La péricope, où Jésus réaffirme l'indissolubilité du mariage face à la loi de Moïse autorisant la répudiation des femmes, peut être considérée comme la racine évangélique du sacrement du mariage. Or une telle prise de position fait certainement partie de ce qui a mené Jésus sur la croix. Jésus ne condamna pas les personnes prostituées, au contraire il présenta certaines d'entre elles, apparemment devenu disciples de Jean le Baptiste, comme précédant les prêtres du temple dans le Royaume. S'étant convertie à la prédication de Jean, elles avaient rompu avec l'idolâtrie. Les prêtres, eux, malgré leur pureté rituelle que Jésus ne remet pas en doute, sont toujours dans l'idolâtrie. L'enjeu de la Foi chrétienne, ce n'est pas des formalismes rituels ou moraux, c'est la Foi des humains en un Dieu aimant.
La comparaison que l'Ancien Testament fait souvent entre prostitution et idolâtrie permet de proposer une théologie basée sur l'analogie entre amours humaines et amour divin : une théologie des épousailles.

Donc si les chrétiens sont légitimes à s'engager dans la société pour promouvoir un certain type de mariage, c'est bien pour promouvoir les épousailles, les mariages qui incarnent l'amour. Et s'il y a certains types de mariage à dénoncer, ce sont les mariages contaminés par la prostitution. Le mariage homosexuel serait-il forcément un mariage prostitutionnel ?

Ni plus ni moins que le mariage hétérosexuel.

 Mais en se mobilisant contre cette loi, les chrétiens semblent oublier ce qui fait le cœur sacramentel du mariage qu'ils prétendent défendre. Le plus grand risque se trouve là à mon avis.
Car un couple hétérosexuel, pas plus qu'un couple homosexuel, n'est à l'abri de la prostitution provoquée par l'argent, ni par celle provoquée par la violence, ni enfin par celle qui induit une stérilité spirituelle.
S'engager dans la société, jusqu'à la politique, pour promouvoir les épousailles, c'est à dire garantir des conditions sociales, culturelles et économiques qui ne favorisent pas les logiques prostitutionnelles, ça suppose donc de s'engager:
- contre la prostitution au sens strict, et donc pour son abolition;
- contre la précarité, en particulier celle des femmes, et tout ce qui engendre la précarité, notamment l'inégale répartition des richesses et l'insécurité sociale au travail;
- contre les violences conjugales;
- contre tout ce qui s'oppose à l'égalité entre femmes et hommes, dans les représentations culturelles, mais aussi dans les institutions, politiques comme ecclésiales;

Les opposants au mariage pour tous ont beaucoup prétendu défendre le droit des enfants. L'argument qu'un couple homosexuel en adoptant mettrait en danger ses enfants ne me parait pas sérieux. Mais quand bien même il le serait, considérant la pauvreté qui touchent dans notre pays et dans le monde avant tout des enfants, les combats que je viens de lister répondent, me semble-t-il, beaucoup mieux aux droits des enfants à grandir dans la sécurité économique, affective et culturelle.

dimanche 2 février 2014

Moi, Philippe, baptisé, je ne peux pas « passer mon chemin », non plus !

Réaction à la tribune de Philippe Barbarin, prêtre et archevêque de Lyon, publiée dans La Croix du 23 janvier 2014.

Vous, archevêque de Lyon, pasteur des chrétiens qui sont à Lyon, vous annoncez aller manifester avec «la manif pour tous ».  Vous dîtes que votre présence sera la réponse évangélique à l’appel du prochain, ici en particulier les enfants que l’on menace d’être « sans parent, sans naissance ».

Beaucoup de ce que vous dîtes n’est pas particulier à cet engagement de la « manif pour tous ». Il s’agit d’une spiritualité de l’engagement politique en général: « Que votre oui soit oui ; que votre non soit non ! ». Cette douce fermeté, je l’ai aussi rencontré chez mes ami.e.s d’engagement : tel syndicaliste qui passe des heures dans le froid pour soutenir les salariés d’une entreprise voisine dont les dirigeants ont décidé brutalement la fermeture, tel militant des droits des sans-papiers qui cache une famille entière menacée d’expulsion, tel activiste espagnol qui, dérisoire rempart,  se tient devant le seuil d’une maison pour empêcher les forces de police d’expulser une famille surendettée, etc. Oui, vous avez raison, s’engager pour une cause nous fait rencontrer des femmes et des hommes de bonne volonté qui vivent des valeurs évangéliques aussi bien sinon mieux que nous-mêmes.

Je n’irai pas manifester le 2 février avec « la manif pour tous ». Je ne pense pas ainsi avoir une mauvaise « attitude vis-à-vis des plus petits ». Oui, la Parole de Dieu nous appelle à veiller « pour tous les ‘’sans’’ qui sont nos prochains d’aujourd’hui », les sans voix, les sans âge, les sans avenir, les sans-pays, les sans domicile fixe, les sans pouvoir, les sans reconnaissance… Cependant je ne vois pas les dangers du prétendu changement de civilisation qu’apporteront les réformes autour de la famille que propose l’actuel gouvernement. Comment ! Nous chrétiens, nous avons peur de dissoudre les arbres généalogiques ? Mais notre Seigneur Jésus-Christ n’est-il pas né de la rupture radicale de toute généalogie ? Qu’est-ce sinon que la généalogie de Jésus-Christ en Matthieu, où une longue lignée d’homme aboutit à la subversion radicale de toute filiation biologique : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus » ?  La naissance de Jésus subvertit radicalement l’enfermement qu’une généalogie peut représenter pour un être humain. Même la révélation du premier testament ne proposait pas à l’humanité une idée matérialiste et biologique de la filiation. L’engendrement en Genèse 5, c’est nommer l’enfant. D’où vient subitement cette obsession pour l’enchainement biologique des générations ? Les orphelins que nos Eglises ont accueilli et accueillent encore, que nombre de familles chrétiennes ont adopté, sont-il « sans parent » ou « sans naissance » parce qu’ils n’auraient plus de lien avec leurs parents biologiques ? Quelle insulte pour les parents adoptifs et pour les éducateurs d’orphelinat ! Non, tous ces enfants ont été engendrés comme tout humain depuis la Création. Ils ont été nommés par un autre humain. Par quels étranges mécanismes les enfants qui par le futur seront accueillis dans des familles sans lien biologique ne seraient pas pareillement engendrés ?

Pour autant, comme vous, je suis contre la GPA. Mais pour des raisons profondément différentes. Pour moi, la GPA est inacceptable car c’est l’instrumentalisation du corps d’une femme pour obtenir un enfant. Vous le dîtes vous-même, pour l’instant il n’est nul question d’autoriser la GPA. Soyons vigilant, donc ? Je le serai avec vous. Pour autant, nous avons, sans qu’apparemment vous vous en êtes rendu compte, remporté une grande victoire pour empêcher que jamais la GPA ne soit autorisée en France. En effet, le 4 décembre 2013, l’assemblée nationale adoptait la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Cette loi s’appuie sur le principe de la non-patrimonialité du corps humain. Aujourd’hui, en France, au nom de ce principe, on ne peut pas vendre son sang ou un organe, cela ne peut être qu’un don. Car sinon, nous savons bien que les plus faibles économiquement subiront une pression pour céder leur corps en pièces détachées. Bientôt j’espère, si le Sénat vote aussi la loi, il ne sera plus possible d’obtenir un rapport sexuel contre de l’argent. La sexualité ne pourra se vivre que dans la gratuité. Car nous voyons bien avec la prostitution aujourd’hui que sinon seuls les plus faibles économiquement et socialement consentent à louer leur corps. Dans une société qui affirme avec force que le corps de chacun n’est pas un bien que l’on pourrait céder à autrui comme n’importe quelle chose ou service qui nous est extérieur, comment pourrait-il être admis d’utiliser neuf mois durant le corps d’une femme pour satisfaire à un désir pulsionnel d’enfant ? Ce serait tout à fait incohérent, et je vous assure que celles et ceux qui ont obtenu de haute lutte le vote de la loi contre le système prostitutionnel ne « passeront pas leur chemin », leur « non » restera un « non » ferme. Quand cette loi s’appliquera, nous aurons posé ensemble une norme qui dit qu’une relation sexuelle est et doit rester gratuite. Il s’agira là d’un vrai changement de civilisation. Un changement de civilisation qui pour moi va dans le sens des valeurs évangéliques.

Vous l’aurez compris, je suis personnellement engagé dans la lutte contre le système prostitutionnel. Plus précisément avec le Mouvement du Nid, c'est-à-dire dans la rencontre quotidienne avec les personnes prostituées sur les lieux de prostitution. Si nous voulons la disparition concrète de la prostitution, ce n’est pas contre les personnes prostituées. Il est hors de question de les arracher contre leur volonté à leur activité. C’est pourquoi nous sommes satisfaits que la loi cesse de criminaliser les personnes prostituées, et au contraire pénalise les clients. Comment faire reculer radicalement la prostitution dans notre société ? La prostitution trouve ses racines dans l’idée que l’on peut tout acheter avec de l’argent, dans l’idée qu’une relation sexuelle pourrait se vivre sans s’engager vis-à-vis de l’autre, et dans l’idée que les femmes sont forcément à la disposition des hommes, qu’elles leur seraient inférieures. Quand le prophète Osée pris Gomer, une prostituée, pour épouse, il l’aima en combattant ces trois racines, qui sont aussi les racines de l’idolâtrie. Nous savons bien que l’argent devient facilement une idole. L’Eglise avertit avec constance du danger de se soumettre à toute forme de sexualité déshumanisante qui utiliserait l’autre comme un moyen. Pareillement, quand nous acceptons que le masculin domine le féminin, nous défigurons notre humanité que Dieu créa « à sa ressemblance, mâle et femelle ». Dans la loi contre le système prostitutionnel, à la demande des associations abolitionnistes, il est justement prévu de renforcer l’éducation à l’égalité entre femmes et hommes. Or « la manif pour tous » se bat contre ce type de programme d’éducation, accusant ses promoteurs d’être les propagandistes cachés d’une prétendue « idéologie du genre ». Depuis l’intérieur des mouvements féministes, j’atteste que les affirmations caricaturales qui sont présentées comme propre à « l’idéologie du genre » sont marginales parmi les féministes. Nous ne cherchons pas à transformer les garçons en filles. Nous souhaitons seulement que les garçons grandissent libérés des mythes qui les persuadent qu’ils doivent se comporter en macho. Nous souhaitons que les filles ne connaissent aucune humiliation du seul fait qu’elles sont femmes. C’est une humanité pacifiée que les féministes cherchent à faire advenir, en posant des oui qui sont des oui, et des non qui sont des non. Pour cela ils ne passent pas leur chemin, quand ils croisent une personne prostituée victime d’un proxénète, quand ils croisent une femme violée et battue par son mari, quand ils croisent une femme humiliée à son travail parce que discriminée ou même harcelée…

Par contre je pense qu’il serait illusoire et irresponsable de manifester pour « le droit des enfants à avoir des parents », sans manifester aussi pour le droit des enfants de sans-papiers à vivre en sûreté avec leurs deux parents, sans manifester pour le droit des enfants à avoir des parents reconnus dans la société par un travail payé dignement, sans manifester pour le droit des enfants à être éduqués indépendamment de la fortune de leurs parents, etc. Ce serait illusoire car je ne vois nulle part en France qu’on remette en cause le fait que chaque enfant sera engendré. Ce serait irresponsable car on ne cesse de faire subir aux enfants les conséquences des inégalités qui règnent entre leurs parents.

http://www.nawak-illustrations.fr/

jeudi 29 août 2013

L'Eglise, la "chaste pute", doit se convertir à la foi des personnes prostituées, et lutter contre l'idolâtrie de la prostitution.


L’Église, casta meretrix, a une vocation particulière vis à vis de la prostitution:
  • accueil des personnes prostituées comme des frères et sœurs qui bien souvent nous précèdent dans la foi, 
  • et combat contre les logiques de la prostitution qui pervertissent la foi et l'amour dans leurs fondements les plus intimes en chaque individu et à travers la société.

Tamar, ancêtre de Joseph, le père adoptif de Jésus-Christ, a subi l'injustice et la violence des hommes, Er, puis Onan, puis Juda. Elle s'est finalement « déguisée » en prostituée pour obtenir un enfant de Juda. Sa résistance à l'égoïsme mâle des hommes pour la vie a été justifiée. Aujourd'hui toujours la prostitution est matériellement liée aux inégalités entre femmes et hommes, à la pauvreté, aux inégalités entre Nord et Sud et aux violences que se permettent plus facilement les hommes sur les femmes et les enfants : 80% des personnes prostituées ont été victimes de violence et d'abus dans l'enfance. Aujourd'hui encore, elles manifestent une force de vie, une soif d'amour vrai que l’Église a le devoir de justifier : accueillir les survivantes de la prostitution, leur donner la parole.

Rahab, autre ancêtre de Joseph, a permis la victoire de Josué sur Jéricho et la réalisation de la promesse faite au peuple libéré d’Égypte d'entrer sur la Terre. Sa participation à la réalisation du Salut s'accompagne d'une profession de Foi. En cette année de la Foi, n'est-ce pas l'occasion de se convertir, de tourner notre regard vers celles que Jésus avait montrer en exemple aux prêtres qui l'interrogeaient, vers les personnes prostituées qui ont cru en la prédication du Baptiste, qui aujourd'hui croient en un monde de justice et d'amour vrai ?

Osée a épousé une « femme de prostitution » pour montrer de quel amour Dieu aime l'humanité. Se faisant, une sorte d'équation est posée pour comprendre comme l'humanité reflète l'amour de Dieu, mais aussi comment elle peut le trahir : Amour entre époux et épouse = Foi ; Prostitution = Idolâtrie ; Amour « vrai » Prostitution ; Foi Idolâtrie. La négation de l'amour que vivent au quotidien les personnes prostituées leur font aspirer au vrai amour, à une vraie foi. J'ai rencontré une jeune femme, K, albanaise victime de la traite, qui nous a témoigné n'avoir jamais cessé de mettre sa confiance dans le Seigneur, là où personnellement, à la seule audition de son récit, j'aurais douté cent fois de Sa justice. Oui, elles peuvent être nos maîtresses-enseignantes dans la Foi.

Cependant le mariage formel n'est pas en soi une antidote contre la prostitution. Osée supplie et promet à sa femme : « Et il adviendra en ce jour _ oracle du Seigneur _ que tu m'appelleras « mon époux » et tu ne m'appelleras plus « mon Baal », mon maître ». Les relations de dominations et de violence peuvent facilement s'infiltrer dans un couple, d'autant plus quand la prostitution concrète rode dans le contexte social. Je le constate cruellement dans ma propre expérience d'époux. Il me semble sous ce jour-là que, si le mariage est sacrement, c'est qu'il est radicalement contre toutes logiques prostitutionnelles. A la suite de Saint-Augustin, l’Église doit affirmer aux hommes qui sont tentés d'être client de la prostitution, et ainsi se faire complices de tous les trafics qui y sont liés : « N'y allez pas ! » (17ème sermon, pour la fête des Macchabées). Il faudrait aider un discernement spirituel chez les épouses et les époux, et chez les fiancéés, pour les aider à lutter au quotidien dans le couple contre toutes ces petites et grandes violences qui relèvent et participent des mêmes logiques que ce qu'on retrouve dans la prostitution : relations sexuelles où l'un consent à l'autre sans désir, inégalités économiques et dépendances affectives, humiliations, etc. En somme, que les époux chrétiens ne deviennent pas l'un pour l'autre des Baals.

Nombreux sont les chrétiens, et les femmes et hommes de bonne volonté, qui s'engagent auprès des personnes prostituées, et qui, de multiples manières, œuvrent à un monde sans prostitution. Pourtant cet enjeu ne semble être considéré comme central ni par la majorité des fidèles, ni par le magistère. Alors que par ma propre expérience, je peux témoigner qu'aller à la rencontre des personnes prostituées, faire face au système prostitueur, c'est une voie privilégiée pour aller « aux périphéries » de l’Église et de la société tout en progressant dans le cœur de la foi. C'est pourquoi je crois que l’Église rencontre aujourd'hui un temps opportun pour retrouver cette vocation à s'identifier aux personnes prostituées tout en luttant pied à pied contre la prostitution et l'idolâtrie, à être la chaste pute, casta meretrix.




mercredi 28 août 2013

Le Pape Benoît XVI condamne la prostitution comme un crime contre l'humanité.

Dans son discours du 7 novembre 2011 au nouvel ambassadeur d’Allemagne auprès du Vatican, le pape Benoît XVI déclare : «Toute personne, homme ou femme, est destinée à exister pour les autres. Une relation qui ne respecte pas l'égale dignité des hommes et des femmes constitue un grave crime contre l'humanité. Il est temps de faire un effort vigoureux pour endiguer la prostitution, ainsi que la diffusion généralisée de matériel à caractère pornographique, également sur Internet » 1.

Non seulement les commentateurs allemands réagirent unanimement2 en associant cette déclaration avec le récent scandale autour de la publication par la société d’édition « Weltbild », propriété de l’épiscopat allemand, de plusieurs milliers d’ouvrage de pornographie. Mais surtout aucun ne citèrent la déclaration complète du pape, escamotant la condamnation de la prostitution comme un crime contre l’humanité. Or le pape s’adressait au représentant de la république fédérale allemande pour condamner clairement et fermement le système prostitutionnel en tant que tel. En effet, comme s’en étonnent certains internautes allemands dans les commentaires d’articles3, si le pape voulait régler une situation interne à l’Eglise allemande, il aurait pu intervenir par d’autres voies, par le nonce apostolique notamment. S’il s’adresse à l’ambassadeur d’Allemagne, c’est bien qu’il compte attirer l’attention de la société allemande entière sur le phénomène prostitutionnel en son sein. Cette déclaration papale et les (non-)réactions qu’elle a suscitée dans la presse allemande induisent à faire deux observations : d’une part la surdité manifeste de la presse allemande à l’interpellation du pape à propos de la prostitution illustre l’absence de (/la faiblesse du) débat sur cette questiondans la société allemande; d’autre part la prise de position de Benoît XVI vis-à-vis de la prostitution est novatrice dans sa fermeté, elle la définit comme un crime contre l’humanité, mais elle s’inscrit dans une tradition qu’il n’est pas inutile de rappeler :


La prostitution dans la Bible
La source de l’enseignement de l’Eglise sont bien entendu les Ecritures, à commencer par les Evangiles. Deux versants d’une même attitude vis-à-vis de la prostitution et des personnes prostituées si détachent clairement : d’une part l’accueil aimant des personnes prostituées et d’autres part la condamnation sans concession de la prostitution en tant que système.
L’accueil aimant de Jésus.
L’attitude de Jésus-Christ envers de nombreuses femmes suspectées de « mauvaises vies » par leurs contemporains montrent l’exemple. Que cela soit « la pécheresse » (Lc 7,36-50), la « samaritaine » (Jean 4,5-53), Marie de Magdala (Lc8,2 ; Mc 16,1-11) ou la femme adultère (Jn8,1-11), Jésus agit toujours de même : accueil, écoute, soulagement spirituel et matériel de la détresse. Les hommes de pouvoir qui réprouvent l’attitude de Jésus sont régulièrement renvoyés à leurs propres péchés, qui souvent sont la cause même de la situation de ces femmes. Plus encore Jésus donne certaines personnes prostituées en modèle de la foi : celles qui ont cru en Jean le Baptiste « précèdent [les prêtres du Temple de Jérusalem] dans le Royaume » (Mt 21,31-32).
La tradition prophétique : l’idolâtrie est comme un prostitution.
Dans le même temps Jésus s’inscrit pleinement dans la tradition biblique qui condamne à la fois prostitution et idolâtrie, l’une et l’autre devenant métaphore réciproque. La prostitution constitue la perversion de la relation d’amour entre femme et homme et l’idolâtrie celle de la relation entre l’humanité et Dieu. Peu avant de donner les personnes prostituées en modèle de foi, Jésus chassa les vendeurs du Temple, citant les imprécations du prophète Jérémie (Mt 21,12-13). L’argent ne saurait être mêlé au sacré, de même qu’il ne saurait l’être avec la sexualité. Osée, l’un des plus anciens prophètes de l’Ancien Testament, a vécu dans sa chair cette geste condamnant le système prostitutionnel tout en accueillant la personne prostituée. Il en épousa une, Gomer. Des obstacles que la prostitution opposa à leur amour, il en tira un enseignement pour le peuple lecteur de la Bible : comment l’idolâtrie fausse le juste culte à Dieu. Dans la tradition ouverte par Osée, traitant l’idolâtrie de prostitution et comparant la relation entre Dieu et l’humanité avec une relation d’amour, on trouve les prophètes Amos, Isaïe et Ezéchiel. On trouve aussi le magnifique chant des deux amoureux du Cantique des cantiques, que les traditions juives et chrétiennes ont lu comme l’amour mystique entre Dieu et l’humanité. Le Cantique se termine par une condamnation de la tentation de payer pour de l’amour : « Si quelqu’un donnait tout l’avoir de sa maison en échange de l’amour, à coup sûr on le mépriserait » (Ct 8,7). Le théologien Josef Ratzinger s'inscrit entièrement dans cette tradition biblique pour fonder sa théologie du mariage5.
Les personnes prostituées, figures de l’Eglise.
Cependant la Bible est aussi le témoignage littéraire de sociétés successives du Proche-Orient antique. Elle témoigne donc aussi de l’ancienneté de l’existence de la prostitution. Dans la Genèse, Tamar se déguise en prostituée pour obtenir une descendance de la part de son beau-père, qui la lui refusait malgré la loi de l’époque (Gn38). Cet épisode illustrerait la précarisation de la condition des femmes au tournant du néolithique, manifestée par l’apparition de la prostitution6. Dans le livre de Josué, c’est une prostituée, Rahab, qui donne la victoire aux armées de Josué en infiltrant des espions dans Jéricho. Elle et sa famille sera la seule survivante du massacre et ils seront incorporés aux tribus hébraïques (Js 2). Tamar comme Rahab font partie des quatre seules femmes citées dans la généalogie de Jésus par Matthieu (Mt1). Les pères de l’Eglise vont utiliser la figure de Rahab comme allégorie de l’Eglise naissante : elle ne fait pas partie du peuple juif, elle est issue du paganisme (elle est prostituée) mais sa foi a permis la victoire de Jésus (en hébreux Josué et Jésus sont homonymes). Pour Origène, Rahab représente « cette Eglise du Christ qui s'est recruté parmi les pécheurs et les reçoit comme au sortir de la prostitution »7. A sa suite Ambroise de Milan nommera l’Eglise « prostituée chaste » (casta meretrix)8. Urs von Balthasar, théologien du XXe siècle, reprendra cette expression pour fonder son ecclésiologie9.
La prostitution et les chrétiens dans l'histoire
Augustin, ce qu’il n’a pas dit et ce qu’il a vraiment dit de la prostitution.
Il est courant d’entendre dire que Saint-Augustin, parmi les pères de l’Eglise, justifia le recours à la prostitution, par une citation particulièrement ignoble : « Il [Augustin] dit que la femme publique est dans la société ce que la sentine est dans la mer et le cloaque dans le palais. Retranche le cloaque et tout le palais sera infecté." Or Charles Chauvin a montré que cette citation rapportée par Ptolémée de Lucque au XIIIe siècle ne se trouve nulle part dans les œuvres connues d’Augustin10. On ne trouve qu’une citation au sens proche, mais moins injurieux, dans un traité de philosophie écrit par le jeune Augustin, avant sa conversion au christianisme, alors qu’il était manichéen11. Au contraire, une fois devenu évêque, Augustin enjoindra les hommes chrétiens à ne pas être clients de la prostitution lors des fêtes données dans la ville de Bulla. A cette occasion, il rappela que Jésus affirma que les personnes prostituées « nous précèdent au Royaume des cieux »12.
Prohibitions et réglementations en chrétientés
Or cette seconde citation d’Augustin fut oubliée par les théologiens du Moyen-Âge pour ne retenir que le pseudo-Augustin qui compare les personnes prostituées à un cloaque. Concrètement cela va conduire à une succession de régimes prohibitionnistes, condamnant et réprimant les personnes prostituées, et plus ou moins les clients et les proxénètes, et de régimes réglementaristes, méprisant et humiliant les personnes prostituées, mais tolérant complaisamment clients et proxénètes. On cite souvent l'ordonnance de 1256 de Saint-Louis. Elle serait le modèle des réglementations médiévales reléguant la prostitution hors les murs des villes. Cependant Saint-Louis souhaita d'abord interdire strictement la prostitution par l'ordonnance de 1254, qui prévoyait des châtiments corporels sévères contre les « ribaudes » et leurs protecteurs13. Justinien avant lui, parmi les premiers empereurs chrétiens, décida en 535 la fermeture des lieux de prostitution dans Byzance et le bannissement des proxénètes. Apparemment selon le conseil de son épouse Théodora, peut être elle-même une ancienne courtisane. Cette mesure ne dura cependant que 20 ans, Justinien permettant le retour des souteneurs 8 ans après la mort de Thédora.
L’Église tolère la prostitution comme un « moindre mal ».
S’appuyant sur la fausse citation de Saint-Augustin et la doctrine du moindre mal de Thomas d'Aquin, les moralistes catholiques vont justifier la tolérance de la prostitution à partir du XIVe siècle. Cette doctrine de la prostitution comme un moindre mal, quoiqu'en contradiction manifeste avec les sources du christianisme, va prévaloir jusque au début du XXe siècle au sein de l’Eglise catholique, et dans la mentalité des sociétés chrétiennes d’Europe occidentale. On voit à quel point cette mentalité va être reconduite, quoique sécularisée, dans la réglementation de la prostitution « à la française » du XIXe siècle. Parent-Duchâtelet comparant les personnes prostituées aux égoûts.
Les résistances évangéliques à la prostitution en chrétienté.
Pourtant des chrétiens ne cesseront de résister contre ces attitudes anti-évangéliques quant à la prostitution. Ignace de Loyola fonda à Rome en 1542 la maison Sainte-Marthe pour accueillir les personnes prostituées, en leur donnant le choix du type de vie qu'elles souhaitaient. Le vieil Ignace arpentait les rues de Rome pour aller à la rencontre des courtisanes et leur proposer de rejoindre sa fondation14. Alphonse de Ligori de son côté fut un des rares moralistes à condamner fermement les clients de la prostitution. Tout au long du Moyen-Âge et sous l'Ancien Régime, des initiatives régulières vont être prises pour donner aux personnes prostituées un accueil et une possibilité de trouver une alternative à la prostitution, même si l'alternative, contrairement à la maison Sainte-Marthe d'Ignace de Loyola, était souvent réduite à une vie austère et recluse : couvents de repenties ou de Madeleines, le Bon Pasteur...
Retour aux principes évangéliques : l'abolitionnisme chrétien.
La fondatrice moderne de l’abolitionnisme, Josephine Butler, est pleinement issue du protestantisme anglican. L’abolitionnisme va ensuite trouver un écho militant dans les milieux du catholicisme social de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. A tel point qu’au moment de Aggiornamento de l’Église que constitua le concile Vatican II, la prostitution en tant que système sera clairement condamnée. Le Nid a été fondé par le père Talvas avec des militants du catholicisme social. L’Église catholique française est acquise à différents niveaux au double principe de l’accueil charitable des personnes prostituées et de la condamnation du système prostitutionnel. De nombreux diocèses soutiennent matériellement et spirituellement le Mouvement du Nid, laquelle association fait partie du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement. Récemment la conférence des évêques de France (CEF) réagissait à l’augmentation brutale de la prostitution et de la traite en provenance d’Europe orientale au cours des années 1990 par une condamnation ferme du système prostitutionnel :
Il s'agit, en réalité, de savoir si l'être humain peut être objet de commerce. La prostitution est une atteinte à la dignité des personnes: elle exprime un mépris du corps et rabaisse la relation sexuelle au niveau d'un marché. (…) La prostitution est un refus du projet divin à l'égard de toute personne humaine et donc, au regard de la foi, elle relève de l'ordre du péché, tant personnel que collectif.15
En conséquence la CEF encourage vivement les catholiques et les communautés chrétiennes à s’engager en faveur de l’abolition de la prostitution :
“Répondre à la situation alarmante du phénomène de la prostitution, s'engager auprès de ceux et de celles qui s'opposent à toutes les formes de sa banalisation, défendre le respect de toute personne parce qu'elle est une créature aimée de Dieu, sauvée par le Christ: cette tâche incombe aujourd’hui en France à toutes les communautés chrétiennes.”
Peut être influencée par les travaux de Charles Chauvin, la déclaration des évêques reprend sa conclusion: “Le 19e siècle a vu la fin de l'esclavage. Le 20e sera reconnu comme celui où la peine de mort a été abolie dans la plupart des pays du monde. Le 21e sera, si nous le décidons, celui de l'éradication progressive de l'exploitation sexuelle.”
La récente déclaration du pape Benoît XVI est donc à situer dans la continuité de cette longue tradition biblique et chrétienne: condamnation de la prostitution au nom de la dignité des personnes. Plusieurs siècles de « chrétienté » où la prostitution était tolérée comme un moindre mal et où les personnes prostituées ont été particulièrement humiliées, à l’instar de toutes les femmes accusées par une théologie misogyne obsédée par la pureté sexuelle, laisse au christianisme contemporain un lourd héritage dans les mentalités comme dans les faits. Beaucoup trop parmi les chrétiens partagent ces opinions anti-évangéliques, comme le montre la surdité des allemands, y compris des catholiques allemands, quant à la condamnation par le pape du système prostitutionnel dans leur pays comme un « crime contre l’humanité ».
Chronologie.
  • VIIIe siècle av. JC : Osée, prophète dans le Royaume du Nord, épouse une femme prostituée, Gomer, et dénonce toutes formes d’idolâtrie comme une prostitution.
  • VIIe siècle av. JC : rédaction du deutéronome, interdit de la prostitution des femmes et des hommes en Israël. ("Il n'y aura pas de courtisane sacrée parmi les filles d'Israël; il n'y aura pas de prostitué sacré parmi les fils d'Israël. Tu n'apporteras jamais dans la maison du SEIGNEUR ton Dieu, pour une offrande votive, le gain d'une prostituée ou le salaire d'un "chien", car, aussi bien l'un que l'autre, ils sont abomination pour le SEIGNEUR ton Dieu."Dt.23 ;18-19)
  • Temps évangéliques : on compte parmi les disciples de Jean le Baptiste des personnes prostituées. Jésus les montre comme exemple de la foi (Mt 21,31-32)
  • IIIe siècle ap. JC : Origène voit en Rahab une allégorie de l’Eglise.
  • IVe siècle ap. JC : Ambroise de Milan parle de l’Eglise comme d’une prostituée chaste (casta meretrix).
  • 535 : fermeture des lieux de prostitution dans Byzance par Justinien. Les personnes prostituées sont récluses dans des conditions indignes.
  • 1254 : interdiction de la prostitution dans le Royaume de France par Saint-Louis. Des châtiments corporels sont prévus pour les personnes prostituées et les proxénètes.
  • 1256 : réglementation de Saint-Louis. La prostitution est tolérée hors les murs des villes, et à distance des lieux de pèlerinage et cimetierre.
  • 1542 : Fondation de la Maison Sainte-Marthe à Rome par Saint-Ignace de Loyola. Les personnes prostituées sont accueillies dans le respect de leur choix de vie. Ignace va à leur rencontre dans les rues de Rome.
  • 1886 : Joséphine Butler obtient du gouvernement britannique l’abandon de la réglementation de la prostitution « à la française ». Première victoire de l’abolitionnisme moderne.
  • 1937 : rencontre entre Germaine Campion et le père André-Marie Talvas à l’origine du Mouvement du Nid, de l’Amicale du Nid et du Mouvement Vie Libre.
  • 8 décembre 1949 : promulgation de la constitution pastorale « Gaudium et Spes » condamnant la prostitution parmi les « offenses à la dignité humaine » que les chrétiens doivent combattre.
  • 1975 : occupation d’églises dans plusieurs villes de France par un mouvement de personnes prostituées contre le harcèlement policier, avec le soutien de militants catholiques (notamment du Nid).
  • 2000 : Déclaration de la commission sociale des évêques de France: "L'esclavage de la prostitution"
  • 2003: document de la commission sociale des évêques de France "Violence envers les femmes", paragraphe 7 à 13
  • 2011 : Benoît XVI déclare à l’ambassadeur d’Allemagne que la prostitution est « un crime contre l’humanité ».
2 07/02/2011 Focus,“Papst Benedikt XVI. ruft katholische Bischöfe gegen Erotik auf“; Stern: „Papst fordert deutsche Bischöfe zum Vorgehen gegen Pornografie auf“; Süddeutsch Zeitung: „Papst verdammt Pornos im Internet“; etc.
3 http://www.kath.net/detail.php?id=33798&action=komm
4 Gaudium et Spes, 27,3
5“Si le culte (...)de la fécondité fonde directement du point de vue théologique la prostitution, alors la relation de l'homme et de la femme dans le mariage exprime la conséquence de la foi au Dieu d'Israël.” La fille de Sion, Josef Ratzinger, 2002 (origin. 1990), Parole et Silence, p. 40
6cf. “Nature Culture guerre et prostitution; le sacrifice institutionnalisé du corps” Martine Costes-Péplinski; 2001, Sexualité humaine L'harmattan. pp.75-78
7Homélies dur Josué III,4 
8 "Rahab – qui originellement était une prostituée mais qui dans le mystère est l’Église – a indiqué en son sang le signe futur du salut universel au milieu du massacre du monde. Elle ne refuse pas l'union avec les nombreux fugitifs, elle est d’autant plus chaste qu’elle est plus étroitement unie au plus grand nombre d’entre eux ; elle qui est vierge immaculée, sans ride, intacte dans sa pudeur, amante publique, prostituée chaste, veuve stérile, vierge féconde... Prostituée chaste, parce que de nombreux amants viennent à elle par l’attrait de l'amour mais sans la souillure de la faute" (In Lucam III, 23). 
9 Sponsa Verbi. Skizzen zur Theologie II. Johannes Verlag 1961.
10 Les chrétiens et la prostitution; Charles Chauvin, Le Cerf, 1983. pp.56-60
11 De Ordine II,IV,12
12 17Eme sermon (pour la fête des machabées I; paragraphes 8 et 9. (http://caloupile.blogspot.com/2010/04/prostitution-intolerable-chez-augustin.html)
13 Les chrétiens et la prostitution; Charles Chauvin, Le Cerf, 1983. pp.30-31
14 Prostitution et Société 1991; http://caloupile.blogspot.com/2011/08/ignace-de-loyola-et-les-personnes.html
15 Déclaration de la CEF; 4 décembre 2000; Prostitution et Société, janvier 2001.